vendredi 24 juin 2011
- On le voit bien en comparant avec le dessin précédent. Plus le temps passait, plus vous avez travaillé vos dessins. Ce sont certainement dans ces planches inédites que vous avez atteint le sommet de votre art, avec ce modelé inimitable et ce raffinement des décors.
De la chaine Telefunken Concertino venait cet air pour Dandy un peu maudit, un peu vieilli - Disait le texte.
« A cigarette that bares a lipstick’s traces
An airline ticket to romantic places
And still my heart has wings
These foolish things remind me of you ».
Voilà! C’est ce qui manque à Baby Browning: une note sentimentale qui tempèrerait son cynisme… Et, puisque vous évoquez les « Dandies un peu maudits, un peu vieillis qui, dans leurs vestes de soie rose déambulent, moroses », elle pourrait dire les Mots Bleus:
« Les mots qu'on dit avec les yeux
Toutes les excuses que l'on donne
Sont comme les baisers que l'on vole
Il reste une rancœur subtile
Qui gâcherait l'instant fragile
De nos retrouvailles »...
Mais vous rêvez encore ? Ou, plutôt, vous étiez sur votre planète Tralfamadore à vous…
- Pfff ! Encore une référence qui ne parlera à quiconque. Revenez, quant à vous, sur terre ou plutôt « HIC ET NUNC », c'est-à-dire « Ici et maintenant ». Ni le livre, « Slaughterhouse Five », de Kurt Vonnegut Junior, ni le film qui en a été tiré et qui fut réalisé par George Roy Hill ne sont restés dans la mémoire collective. Ainsi l’évocation des allées et venues de Billy Pilgrim dans le temps (ou bien entre la Terre et la planète Tralfamadore où il rejoint, dans un ZOO, la comédienne de genre Montana Wildhack) est un bide assuré, garanti sur facture, comme qui dirait…
- N'empêche que votre récit, entre aujourd'hui et un passé glorieux ou bien la réalité et un monde imaginaire, emprunte ses ficelles à ce « Slaughterhouse Five »... Mince alors! Vous semblez, sur cette image, en avoir pris un bon coup sur la carafe ! Le malheureux semble avoir même bien du mal à trouver son chemin… C’était pour quel roman ?
- Heu…
- D’accord : c’est un rôle, celui d’un amnésique, pour lequel vous aviez toutes les aptitudes.
- La tête de l'emploi ?
- Pour ainsi dire!
jeudi 23 juin 2011
LA NUIT DES CHATS BOTTES
- Mince ! Vous êtes, sous ce masque que je vous avais moi-même cousu, totalement méconnaissable: un vrai Fregoli !
- Ta! Ta! Ta! C’est une erreur que commettent trop d’amateurs et qui consiste à faire référence à quelque-chose d'absolument inconnu de tous, ou presque. Or l’Art consiste à s’adresser à tous. À moins de vouloir prêcher dans une obscure chapelle abritant deux pelés et un tondu, déjà convertis ! Ainsi qui se souvient de ce type, Leopoldo Fregoli, ce show-man transalpin, loué à travers le monde pour ses changements de costumes instantanés ?
- Bref un transformiste.
- Voilà! Capable de changer cent fois de costumes durant le même spectacle: D’où l’expression surannée et remontant à plus d’un siècle : « un véritable Fregoli » ! Derrière moi-même tenant un bon vieux Colt 45 (le seul ami de l’homme avec une bouteille de Jack Daniel’s), c’est ce qui restait Ménilmuche…
- Depuis Maurice Chevalier, plus personne n’emploie ce terme et votre histoire est bien un authentique condensé d’archaïsmes linguistiques ! Seul le roman de Frédéric Fajardie est passé à la postérité : « La Nuit des Chats Bottés »…
- Et c'est l'édition de chez NéO que je préfère!
- C’était le bon temps ! - Dit-elle, ce qui jurait furieusement avec le dessin du jour!
- Le temps, voulez-vous dire, où les éditeurs et les directeurs de collection étaient tous issus du sérail, ayant gravi une à une toutes les marches vers le sommet ? Vous souvenez-vous: leurs journées étaient réglées selon un rituel immuable. Selon leur obédience et leurs chapelles (ou simplement selon le sens où ils empruntaient le Boulevard Saint-Germain!), ces journées débutaient par un petit déjeuner soit au « Flore », soit aux « Deux Magots ». Les croissants de ces excellentes maisons sont un peu ma madeleine de Proust... Surtout, ces « vieux de la vieille » aimaient les livres et n'écoutaient pas les « commerciaux » qui n'ont jamais rien lu d'autre que des relevés de ventes et pensent que l’on peut en tirer des conclusions et, surtout, une vision artistique. Assurément, c était le bon temps: « ET IN ARCADIA EGO » !
- L’interprétation la plus populaire que l’on en a donne est la suivante: « Moi aussi, j’ai vécu en Arcadie, et j’y ai connu le bonheur ».
- Vous ne craignez pas qu’on dise de vous : « Quel vieux CON ! »
- D’abord, pas si vieux que cela. Quand à mon côté CON, c’est une affaire de point de vue ! J’imagine simplement que les temps ont changés : voilà tout! Et ceux d'aujourd'hui ne m'intéresse pas vraiment. Eux non plus, je ne les intéresse pas, ça tombe bien! Ainsi, et par exemple, il ne serait pas question de représenter aujourd'hui, en couverture, un type qui vient de subir un interrogatoire musclé et se retrouve menotté au radiateur d'une geôle infâme: « Et la sensibilité de nos lecteurs, vous y avez songé ? » - Qu'on me dirait!
- Ce doit être un roman très ancien car de telles méthodes, littéralement moyenâgeuses, sont aujourd'hui impensables...
- Naturellement !
mardi 21 juin 2011
- Jadis, travailler dans l’édition était une sorte de privilège : non seulement un auteur recevait les services de presse de ses propres publications mais certains étaient si chics qu’ils offraient les livres des autres. Ainsi Hélène et Pierre-Jean Oswald m’envoyèrent tous les livres illustrés par Jean-Michel Nicollet, y compris les luxueuses intégrales Harry Dickson ou Conan Doyle. De son côté, la Directrice des éditions Omnibus, pour qui j’avais réalisé les jaquettes des « Hitchcock », m’offrit les quatre tomes de l’intégrale Sacha Guitry, connaissant mon inclination pour ce vieux farceur. Dans le Roman d’un tricheur, le narrateur commence le récit par son enfance marquée par le décès de l’ensemble de sa famille, suite à l’ingestion de champignons mortels cueillis par un oncle sourd-muet (quand ce dernier agonise dans d’atroces souffrances, quelqu’un demande : « Quel est celui qui crie comme ça ? ». « C’est le muet », qu’on lui répond). Le narrateur, parce qu’il avait volé huit sous le matin même, avait été privé de champignons et donc épargné !
« Le jour de l’enterrement, derrière ces onze cercueils, on chuchotait dans mon dos :
- Savez-vous pourquoi le Petit n’est pas mort ?... Parce qu’il a volé !
Oui, j’étais vivant parce que j’avais volé. De là, devais-je en conclure que les autres étaient morts parce qu’ils avaient été honnêtes ? »
- Sur ce dessin, le personnage connaît lui aussi une indigestion carabinée, infligée par un sabre de cavalerie… Vous vous étiez affublé de ce melon acheté chez le chapelier Mouret qui, depuis 1860, couvre le chef des avignonais…
- Mince de seringue ! - Qu’elle s’exclama - Où l’aviez-vous trouvée ?
- Chez un ami médecin, un spécialiste des oreilles. Il avait, pour agrémenter son cabinet, placé toutes sortes d’instruments anciens dans une vitrine.
- Une vision qui devait drôlement rassurer le patient ! En tous cas, et quel que soit l’usage pour lequel était prévu cet instrument, j’espère que ce personnage de toubib déséquilibré ne va pas pratiquer une prise de sang car la victime risque de s’en trouver exsangue ! En parlant de médecine, c’est curieux ces relations que vous avez toujours entretenu avec les disciples d'Hippocrate. Un peu comme avec les magistrats, les avocats et même les faits-diversiers…
- Pour ces derniers, avocats et magistrats, mon petit commerce criminel créait une forme de complicité !
- Plaisantez ! Cependant je crains que l’ensemble de votre carrière ne laisse soupçonner, de votre part, une forme de complaisance envers le crime. Dans « La Poison », Sacha Guitry écrivait ce dialogue :
Le Procureur : Et c’est pourtant ignoble de tuer !
L’avocat : Oui, mais ça fait vivre tant de monde... !
Et en chœur : A commencer par nous !
- Très amusant ! - Gloussa l'auteur - Quand nous trouvons une bonne formule, nous avons naturellement le désir de la replacer. Au cas où, par hasard, elle n’aurait pas été appréciée à sa juste valeur, la première fois ! Ainsi dans son dernier film, « Les trois font la paire », récit de la courte vie d’un jeune voyou fort sympathique mais volontiers assassin, Sacha fait une nouvelle variation sur ce thème. A la fin du film, c’est l’auteur lui-même qui conclut assis derrière son bureau : « Je m’en serais voulu de passer pour complaisant à l’égard des criminels… Mais, d’autre part, qu’il y ait des criminels, je l’admets volontiers : il faut bien que tout le monde vive ! »
- Dites, mon bon ami, vous rêvez ? - S'inquiéta le Fantôme, justement.
- Pas du tout: je m'imprégnais de la pertinence de vos remarques. Assurément cet album pourrait, dans les écoles de « SCRIPT », servir d’exemple de tous les sujets qu’il convient soigneusement d’éviter si l’on désire avoir du succès auprès du public ! Hormis cette formidable idée d’une Agence chargée de récupérer tous les objets bizarres ou pourvus de propriétés plus ou moins maléfiques. Une espèce de département occulte et parallèle au sein même du FBI et qui entreposerait tout le fatras récupéré dans un grand hangar en plein milieu du désert du Mojave. Mais c’était un budget pour Hollywood ou pour une série ayant les reins solides côté porte-feuille…
- Revenons à notre sujet : vos auto-portraits. Celui-ci a un côté « Magritte »…
- Un côté quoi ? - S’étonne l’auteur la mâchoire un peu pendante…
- Oubliez ! Oh… Mais c’est un gâteau de chez Jouvaud, le célèbre pâtissier de Carpentras, que vous tenez avec affectation. Un « Brazil » ou un « Crescendo », je ne me souviens plus ?
- Bien qu’il garde, aujourd’hui encore, le privilège de ma clientèle, je suis toujours obligé de leur demander.
- Petite tête, va ! J’imagine que ce personnage cache de sombres desseins derrière ses manières affables ?
- Sans doute mais je ne me rappelle plus lesquelles. Par contre, je me souviens que j’avais acheté ces moustaches à Paris, dans un magasin de postiches destinées au théâtre. Je suis totalement méconnaissable ainsi grimé, non ?
- Un vrai Fregoli !
dimanche 19 juin 2011
- Quelle horreur : un homme tout nu !
- C’est un guerrier BERSEKER, les unités d’élite de l’armée viking.
- Et il se balade ainsi ?
- ‘Fectivement ! Leur stratégie, c’était de se ruer au combat absolument ivres d’hydromel et intégralement nus.
- J’imagine la stupéfaction de leurs adversaires décontenancés par tant d'inconduite...
- « Pensez-vous que c’est une tenue convenable pour se battre ? » qu’ils leur demandaient. Ou bien : « Brisons là, monsieur, nous reprendrons la discussion lorsque vous serez dégrisé ! » Ça faisait l’affaire du guerrier BERSEKER qui en profitait pour lui flanquer un bon coup d’épée qui coupait, de la tête jusqu’à l’entrejambe, son adversaire en deux moitiés égales !
- Pas très fair-play.
- Le viking n’a pas laissé le souvenir de mœurs allant dans le sens de la courtoisie.
- En tous cas, voilà une preuve supplémentaire de votre égarement mental: la conduite déplorable des bersekers rebute chacun. Quant aux histoires d’épées maudites, gravées de runes, et qui sont sensées s’abreuver de l’âme de leurs victimes, c’est un scénario qui ne saurait trouver un public ! Mais oublions cet album qui, dans toutes les écoles de « SCRIPT », pourrait servir d’exemple, condensé en un seul volume, de tous les sujets qu’il convient d’éviter si l’on désire avoir du succès auprès du public !
jeudi 16 juin 2011
- Gagne-petit, c’est beaucoup dire ! Je me souviens par exemple de cette campagne que vous aviez réalisée pour les affichages « Marignan »...
- Ah, oui : c’était drôlement lucratif, l’ « Advertising », à cette époque ! « Main Basse sur la Ville » disait le cartouche écrit de ma main. Après cette image où je me suis dessiné devant les tours bâties sur ce qui avait été Courbevoie, j’avais ensuite posé (ma propre représentation étant le fil de ce chapitre) à Lille, près du beffroi de l’Hôtel de Ville. Puis à Lyon, au pied de Notre Dame de Fourvière. Dans la foulée, je réalisai une 4x3 et même un catalogue grand format, avec des reproductions d’une qualité technique telle que j’en avais jamais eue. Je ne l'ai jamais retrouvée non plus!
- Mais dites : êtes-vous certain de ce que vous dites car n’est-ce pas plutôt le célèbre Floc'h qui a réalisé cette campagne publicitaire ?
- Jean-Claude Floch ? RSCG lui demanda d'illustrer, deux ans plus tard, le réseau City 4x3, comme ça s'appelait… Mais je fus l’initiateur : c’est une chose qui n’est pas assez connue !
- Aviez-vous beaucoup déçu messieurs ROUX & SEGUELA pour qu'ils vont retirent ainsi ce pactole ?
- Sincèrement, avec le nombre de déclinaisons que j'avais réalisées (Il faut y ajouter des tirages de luxe sur Arches satiné pour les clients privilégiés), j'avais, avec mon style, fait le tour de la question et il convenait d'en changer, pour « La Ligne claire » par exemple... Surtout, des trucs dans ce genre, cela permettait de travailler pendant une année entière et en toute indépendance sur un album personnel…
- Voilà tout le drame : au lieu d’investir dans du solide, de la PIERRE par exemple, vous préfériez des projets qui, selon vous, écriraient votre légende ! Le POM-POM, ce fut « Lüger et Paix »…
- Vous exagérez : ces planches ont été en grande partie subventionnées par Albin Michel dans les locaux duquel tout un album…
- Ne dites pas ce nom : il porte malheur !
- Un album dont toutes les planches avaient été « volées » avant même leur publication !
- Je fus indemnisé après que mon Conseil soit intervenu.
- N’importe qui aurait placé cet argent.
- C’est ce qu'à ma manière, j’ai fait!
- J’ai toujours tendance à sur-jouer un brin: non ?
- C’est hélas votre talon d'Achille ! Et la meilleure façon de ne rien laisser paraître de ce cabotinage éhonté était encore de vous dissimuler le visage ! Là, sur le palier d’un immeuble vétuste de Courbevoie (bien avant que les bulldozers ne rasent tout et nettoient les petits jardins pour édifier ces Tours à la gloire du modernisme), vous attendiez une vieille dame qui revenait de la poste où elle venait de percevoir sa maigre retraite !
- J’ai toujours été un gagne-petit !
Auto-portraits...
« Dans vos histoires, les rôles masculins sont essentiellement ceux de Serial-Killer et les rôles féminins de victimes de Serial Killer ! » Vient-on d’asséner à l’auteur.
- C’est dégueulasse ! - Qu’il se plaint amèrement - J’ai représenté une galerie de caractères nettement plus variée…
- Et surtout édifiants ! - Intervient le Fantôme des Années Anciennes qui se dit que le moment est bien choisi pour mettre de l’huile sur le feu - Ainsi et par exemple, vous avez dessiné des gangsters sans scrupules qui prenaient en otage de très jeunes filles pour couvrir leur retraite après des hold-up ratés !
- J’ai peut-être légèrement sur-joué ?
- C’est bien votre style !
samedi 11 juin 2011
- Et enfin : victime de Serial Killer !
- C’est une ignominie !
- En effet, c’est ignoble de gagner ainsi sa vie et en faisant assassiner des malheureuses, de préférence à divers stades de dénudation !
- Je peux vous assurer qu'il n'y a jamais rien eu de personnel là-dedans et que je n’y ai pris aucun plaisir. Je n’ai fait ça que pour l’argent !
- N’empêche que vous trainez derrière vous la plus noire des réputations et il n’y a aucun éditeur qui s’imagine que, derrière tout cet étalage de violence et cette galerie de tueurs sanguinaires, il y a un homme animé d'une forme de sensibilité…
- Et qu’aime les coquelicots, même si c’est idiot ?
- Mauvais exemple car l’histoire finit très mal ! Mais vous avez aujourd’hui l’occasion de vous racheter de toutes vos fautes !
- Vraiment: la rédemption est possible, même pour des types dans mon genre ?
Le physique de l'emploi
- Et - Dit-elle - Il nous faut revenir à ce qu'au théâtre on nomme « EMPLOI » et désigne les rôles ou le genre de personnage pour lesquels on a « le physique de l'emploi »... Ainsi les comédiens sont-ils jeunes premiers, amoureux, valets et, en prenant de la bouteille, pères nobles ou même rois… Mais dans vos histoires, les rôles sont essentiellement: Serial-Killer...
vendredi 10 juin 2011
Festival du POLAR de Villeneuve lez Avignon
- C'est avec la lumière de toute cette expérience que vous avez réalisé l’affiche du prochain Festival du POLAR de Villeneuve lez Avignon.
- Ou plutôt à la lueur fantomatique d'une aurore boréale! Et, puisqu'il y eût, jadis, « La Guerre des Deux-Roses », entre la Maison de Lancastre et la Maison d'York, il fallait bien qu'il y eût, aujourd'hui, « La Guerre des Dentelles »! En voici l'histoire. Ce dessin ne nécessita qu’un seul après-midi de poses et le dessin préparatoire fut aussitôt accepté...
- Avec enthousiasme ?
- Résolument. Le seul problème, en fait, c'était la largeur de la dentelle qui orne ces bas Cervin. Une question d'école entre les tenants d'une certaine discrétion et les zélateurs prônant l'exubérance dans cette représentation à leur goût fort décorative... Lors d'un Concile, cette seconde chapelle se rangea néanmoins du côté de la première et estompa de son mieux l'objet du litige.
- Cela sera-t-il suffisant?
- J'ai posé la question à l'École du dénuement en matière de volutes, (presque d'austères luthériens de la fanfreluche!), qui me répondit: « C'est parfait! »
- Quel bel exemple d'œcuménisme! Mais on ne comprend pas bien l'Aurore Boréale…
- Elle va être refaite en couleur et post-production...
mardi 7 juin 2011
« L'Adieu aux Trench-coat »
- Puisque nous parlons du LOOK de ce personnage, j'aimerais que nous parlions des affiches réalisées pour le Festival de Villeneuve lez Avignon. Vous aviez passé un temps infini sur ce dessin. Karyline, qui étais venue poser à quatre reprises, se posait beaucoup de questions sur l’utilité de tant de clichés. Elle se demandait même si vous finiriez par terminer un jour cette affiche!
- Je comprends. Mais c’est la règle : il faut reprendre le travail jusqu’à ce que le visuel satisfasse pleinement le client.
- Vous ne croyez pas qu’il y a un moment où il ne faut dire « NON »?
- Non ! Je suis un « professionnel » : je travaille au service du livre et, s’il m’arrive de réaliser une affiche (ce qui n’a rien en commun puisque là, je vais voir mon dessin démesurément agrandi jusqu’au format 4x3, mètres !) je suis au service de mes commanditaires. Je sais : sur ce dessin, j’ai passé trois mois de ma vie, avant qu’il ne soit définitivement accepté et cela après toutes les retouches ou modifications demandées. Normal: c'est mon job. Il faut que le regard du type qui passe en voiture soit irrésistiblement sollicité par la reproduction et, en une fraction de seconde, il doit piger de quoi je cause ! J’ai ensuite fait réaliser un cliché numérique grand format, par un professionnel : une reproduction du genre nickel-chrome et conçue pour donner le maximum d’effet. Tu comprends, le truc pour un dessin en Noir & Blanc, c’est d’obtenir des noirs qui soient profonds sans être bouchés, des blancs qui soient lumineux sans être grillés et, entre les deux, toute une infinité de gris, du plus léger jusqu’au plus refermé vers le noir. Et tenir compte du papier d’impression, mat ou brillant, et plus généralement de son absorption de l’encre. Bref, tout cela est très technique…
- Et très ennuyeux ! Ce dessin est un peu l'Adieu aux « Trench-coat », non?
dimanche 5 juin 2011
- Je ne bougerais pas d’ici - me répondit-il - Je ne touche jamais mes modèles : si je le faisais, je perdrais ma virilité! » Dit-il. Plus tard, j’appris que les sens exaltés de ce garçon l’inclinaient aux lubies les plus singulières.
Ces derniers temps, par exemple, ses fantasmes étaient d’ordre industriel. Les dérèglements de se libido faisaient que l’odeur d’huiles surchauffées suscitaient en lui de voluptueux délires. Il s’excitait follement à la vue de jeunes femmes simplement couvertes de leur sueur. Il avait ordonné l’arrêt de la production de ses aciéries, mis le personnel en disponibilité, veillant seulement à ce que les « steamblocks » chuintent, sifflent et crachent les jets de vapeurs. Des alentours, il rameutait des créatures qu’il faisait se déshabiller et photographiait se mouvant, sous la lumière morbide des verrières, voluptueuses et funèbres, avec des grâces exténuées ou d’infinies langueurs !..
Plus tard dans mon boudoir, je me réinvente une histoire faite de l’étoffe de ces aventures. Cela me satisfait car l’espérance vaut mieux que le plaisir ; elle contient cette part d’indéfini que la réalité refuse...
J’espère que vos intentions sont honnêtes !
- En même temps, vous aviez déjà raconté, dans « Paris-Fripon », l’histoire d’un artiste qui recevait ses modèles tout nu derrière sa chambre photographique. L'héroïne de ce récit posait à la recherche de sensations:
« Notre monde semble empli de garçons qui, sous couvert artistique, cherchent à satisfaire une libido auquel la réalité refuse tout secours... Lorsque l’on ne recherche que le plaisir, on ne le trouve jamais. Bien pis, on ne trouve bientôt qu’ennui si ce n’est dégoût. Pour éprouver du plaisir, il faut rechercher une autre fin que le plaisir lui-même. Quelque chose, dont on attend ou on exige du plaisir, nous le refuse presque toujours car le plaisir naît de ce qui est inattendu...
En ce qui me concerne, cet inattendu se trouve dans les annonces du « Studio » et cela commence souvent ainsi : « photographe amateur recherche jeune femme motivée pour nu érotique mais de bon goût ; débutantes bienvenues ». Ainsi, je me retrouve dans les endroits les plus inattendus. L’excitation vient de ce que l’on ignore tout, du physique et des inclinations, du rédacteur de ces propositions. Tout juste a-t-on quelque idée après un entretien téléphonique pour fixer les règles. Mais le ton d’une voix, à l’autre bout d’un combiné, est souvent trompeur…
Ainsi, la dernière fois, je me rendis dans une aciérie ou me reçut un homme complètement nu derrière sa chambre photographique !
Je mimai l’effarouchement : « J’espère que vos intentions sont honnêtes ! »…
- Voici encore une des premières couvertures de romans que je réalisai d'elle : je ne maîtrisais pas complètement le sujet et je dessinais, je trouve, ses cheveux trop ramenés en arrière...
- Ah, vous en aurez dessiné des personnages qui tiennent un livre, vous qui ne lisez plus !
- J’ai mes raisons. Sans vouloir me mettre particulièrement en valeur, je peux tout de même affirmer que j’ai très peu de caractère ! Pire, je suis une sorte d’argile malléable entre les griffes de mes différentes passions dont l’une est celle qui, depuis toujours, me lie à la littérature : celle-ci a marqué mon esprit d’une empreinte si profonde que, longtemps, mon travail d’écriture ne s’est accomplit que sous le signe des auteurs pour lesquels je me passionnais. Bref un homme sous influences ! Que je lise assidument un écrivain et je me surprends à m’exprimer comme lui. J’ai ainsi eu des phases Jean Ray, Charles Dickens, Raymond Chandler, Oscar Wilde, Somerset Maugham ou Evelyn Waugh. J’entends un rythme aussi particulier que celui de Sacha Guitry et aussitôt cette diction hante mon esprit et s'impose à ma tournure de phrase, je n’ose dire d’esprit. C’est une fatalité à laquelle je ne saurais échapper. Aussi l’ai-je résolu par la plus définitive des solutions : je ne lis plus !
- Parfait! Mais cela ne nous dit pas comment vous en êtes arrivés à réaliser une histoire ensemble ?
La Rencontre
C'était sur Internet.
From: Karyline
To: Jean-Claude CLAEYS
Sent: Wednesday, October 20, 2008 6:12 PM
Subject: Prêt pour la suite du questionnaire...?
Par exemple, je me demande si les séances photos se déroulent chez vous?
From: Jean-Claude CLAEYS
To: Karyline
Sent: Saturday, October 20, 2008 11:53 AM
Subject: « les séances photos se déroulent chez vous? »
Oui, n'ayant aucune ambition artistique en matière de photographie (il me faut même m'en garder et penser uniquement à réaliser des documents utiles à la petite mise en scène que j'ai imaginée), je me contente d'un fond gris et de quelques halogènes de jardin recyclés en boites à lumière. En fait, on fait des miracles avec de l'imagination et, en définitive, je crois même que le manque de moyens stimule celle-ci. Pour le maquillage, il suffit de dessiner les yeux, un peu plus que dans la vie courante, et d'un peu plus de rouge à lèvres. Et pour la coiffure, je pense que les cheveux tirés ou un chignon conviendrait fort bien au personnage que j’ai en tête. Je vous envoie une esquisse de la composition, une facétie qui m’a été suggérée par une vieille photographie de Alan Ladd et Veronika Lake…»
- Oui, je me souviens et cela avait entraîné ce plaisant malentendu où elle vous demandait : « Il y aura donc un homme à la séance ? Qui donc? ». Et vous, désarçonné, bafouilliez : « Hein ? De quoi ? Un autre homme présent durant la séance? Mon Dieu : non, quelle horreur ! Le seul représentant de l’espèce masculine sera moi-même et je suis résolument inoffensif ! Le deuxième personnage pose de son côté ou à part, si vous préférez, et ensuite j’assemble les morceaux du puzzle… »
- Vous l'avez finalement rassurée sur la pureté de vos intentions. Mais dites: le résultat final du dessin est assez différent du projet ?
- C'est aussi une longue histoire mais je n'ai pas le désir d'en parler.
- Comme vous voulez! Revenons à votre blonde égérie...
Karyline
- Karyline… Nous travaillons ensemble depuis plus de trois années…
- Parfait ! Enfin un modèle qui vous donne l'envie de retourner à votre planche à dessins…
- Mieux que cela : nous réalisons un récit ensemble !
- Inouï! Racontez-moi ça.
- C’est une longue histoire !
- J’ai tout mon temps. Karyline donc : comment l’avez-vous rencontrée ?
- Elle est modèle !
- Une vrai modèle ? Quelqu’un dont c’est le métier et non pas une malheureuse innocente, un peu comme moi, que vous avez entrainée dans vos folles chimères ? Deviendriez-vous enfin responsable ? Mais avant tout, cette esquisse était destinée à quelle manifestation ?
- Pour le « PREMIER FESTIVAL DE CINEMA » organisé par l’association « LES PASSEURS DE LUMIERE ». Cela se passait à Moëlan Sur Mer et Quimperlé. Le thème était, bien sûr, le Polar et les invités d'honneur: Yves Boisset, Robin Renucci et Jean-Bernard Pouy.
- Et vous-même, tu n’y as pas été faire un tour ?
- Non, c’est un peu curieux car j'avais aussi prêté une exposition : la distance, sans doute…
samedi 4 juin 2011
- Je me souviens:
La Bien-aimée : Je dors, mais mon cœur veille. J'entends mon bien-aimé qui frappe.
Le Bien-aimé : Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma parfaite! Car ma tête est couverte de rosée, mes boucles, des gouttes de la nuit.
La Bien-aimée : J'ai ôté ma tunique, comment la remettrais-je ? J’ai lavé mes pieds, comment les salirais-je ?
Mon bien-aimé a passé la main par la fente, et pour lui mes entrailles ont frémi.
Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé, et de mes mains a dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe vierge, sur la poignée du verrou.
- Oooh? Mais quels sont ces joyeux bruits d'eau, là, dans le parc?... Et qui est la jolie fille?...
- Dans « In the Mood for Love », M. Chow se rend, à la fin du film, à Angkor : « Sais-tu comment, autrefois, on gardait un secret ? On creusait un trou dans le tronc d’un arbre, et y après avoir chuchoté son secret, on rebouchait le trou avec un peu de terre ». Dans 2046 dont « In the Mood for Love » est le prologue, monsieur Chow brode à nouveau sur ce thème : « Quand on me demande pourquoi j'ai quitté 2046, je reste vague, je ne donne jamais la même réponse. Autrefois, quand on avait un secret que l'on ne voulait confier à personne, on allait dans la montagne creuser un trou dans le creux d'un arbre pour y chuchoter son secret. Puis on rebouchait le trou avec de la terre alors le secret était bien gardé pour l'éternité. J'ai aimé autrefois mais elle m'a quitté. Je suis parti pour 2046 dans l'espoir qu'elle m'y attende là-bas. Je ne l'y ai pas trouvée. Je ne peux m'empêcher de me demander si elle m'a jamais aimé. Question vaine peut-être : sa réponse est un secret que nul n'apprendra sans doute jamais. » Ainsi 2046 n’est pas seulement un monde futur imaginé par monsieur Chow, mais c’est aussi le numéro de la chambre d’hôtel où il écrivit un roman de sabre avec l’aide de Mme Chan…
- Et vous, que répondez-vous quand on vous demande pourquoi vous avez quitté l'Isle sur Sorgue?
- Je reste vague et ne donne jamais la même réponse!
- Vous souvenez-vous de la Chambre 2046 ?
- Je me rappelle même que monsieur Chow s'installe, en fait, dans la 2047, le temps d'une petite rénovation due au départ précipité de mademoiselle Lulu!
- La chambre 2046 est ce lieu « où les souvenirs ne meurent jamais ».
- « Est-ce que ton cœur est comme l’arc-en-ciel après la pluie, ou l’arc-en-ciel est-il déjà éteint ? » Demande l’un des personnages.
- Mais vous ne soufflerez mot sur ces planches.
- Non. J’écouterais plutôt le conseil des « Mots Bleus » :
« Une histoire d'amour sans paroles
N'a pas besoin du protocole
Et tous les longs discours futiles
Terniraient quelque peu le style
De nos retrouvailles… »
- Vous souvenez-vous - me demanda-t-elle sans transition - de cette chanson de Françoise Hardy:
« C’est comme un voile de rêve
Qu'elle mettrait devant les yeux
Cette heure bien trop brève
Et qui s'appelle l'heure bleue…»
- En vérité, non. Mais Message personnel, oui:
« Ne crois pas que tes souvenirs me gênent
Et cours, cours jusqu'à perdre haleine, viens me retrouver...»
- Je m'en rappelle aussi.
- Prendrez-vous un Pimm's au Champagne ?
- Volontiers. Ne trouvez-vous pas que les journées sont moins belles que jadis?
- C'est sans doute que le soleil était plus brûlant qu'aujourd'hui!
- Quelle version préférez-vous?
- Celle de Mouloudji, naturellement! Elle disait, la fin de cette chanson:
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Mais mon amour silencieux et fidèle
Sourit toujours et remercie la vie
Mais je n'ai que faire des regrets
Et la chanson que tu chantais
Toujours, toujours je l'entendrai
- Vous n'avez pas changé...
- Bien sûr que si!
- Ah, mais ça… Ce Polaroid qui traine sur votre bureau ? Ferait-il partie de votre histoire : « A cette lointaine époque, je faisais encore des clichés ce que l'on appelait des Polaroids. Ce genre d'images, c'est un peu comme les souvenirs: avec le temps, ça s'efface! Remarquez, c'est un genre et ça pourrait même plaire: imaginez, une exposition de photographies qui chaque jour s'effaceraient davantage jusqu'à ce que, au moment du décrochage, il n'en resterait que des ombres… »
- En fait, Ferré se goure complétement quand il dit : « Avec le temps tout s'évanouit… » La preuve !
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