dimanche 31 juillet 2011

Aphrodite


- Mais je reconnais surtout l'influence de Jean Lorrain ou de Joris-Karl Huysmans...
- Et elle, qui est-elle ?...
- Hein, de quoi ?
- Non, ne prenez pas cet air qui vous fait tellement ressembler à une autruche qui vient d'apercevoir un bouton de porte en cuivre! Je parle de votre modèle, de cette jeune femme blonde … D’ailleurs, il y a beaucoup de jeunes femmes blondes dans votre vie ! C’est un hasard ou bien alors la blondeur incline-t-elle plus volontiers au métier de modèle que d’autres couleurs de cheveux…
- Ah ! Stéphanie ? J’ai fait plein de trucs sensationnels avec elle !
- Des trucs ? Quels genres de trucs ?
- Des trucs épatants et dans lesquels j'avais placé les plus grandes espérances... J'avais, par exemple et avec elle, eu l'idée d'une Chrysis...
- Une Chrysis? C'est excellent, cela… Pourquoi n'avez-vous pas continué.
- Manara sortit une adaptation du roman de Pierre Louÿs...
- C'est couillon pour vous! Et pourquoi aviez-vous avez peint les cheveux de Chrysis en VERT. C'est terriblement psychédélique!
- A ce sujet, savez-vous ce que j'ai appris, me concernant?
- Non, dites-le moi...
- Or donc, un éditeur se rendit dans mon ermitage afin de faire le point sur ma carrière. Aimable discussion dont je vous épargne les détails quand, soudain, il me demande : « Vous vous droguez ? »
- Non, je dois vous le confesser.
- Vous vous êtes drogué alors ?
- Pas plus.
- Même pas un petit joint ?
- La fumée me fait tousser !
- Hon ! Hon ! - Qu’il fait, l’air entendu.

« La passion érotique des étoffes chez la femme »


L’auteur : Pourtant, accompagner un beau dessin par un beau texte, ça me semblait une excellente idée ! Par exemple : « Quand je deviens la proie de ces fiévreuses agitations qui m’infligent des fourmillements dans tout le corps, des cuissons de sang sur le visage et mille piqûres de puces le long des cuisses, je me retire dans l’ombre dévote de cette chapelle où brûlent la myrrhe et l’encens.
Ensuite, sur un air de zambra, je me sers un fond d’Amontillado. Je m’enivre les yeux avec ces velours espagnols damasquinés tels des armures parsemées de grenades entrouvertes. Un doux anéantissement gagne peu à peu l’ensemble de mes membres. Mes seins ondulent au fil des satins soufre rayés de roses et de lilas : Aux glissements de ces étoffes surannées, leurs bouts se dressent… Je peux faire durer jusqu’à la souffrance les voluptés de ces luxes défunts. Ma peau devient si sensible que je défaille au contact des lacis en point de Hongrie glissant le long de mes cuisses.
Mes sens hallucinés perçoivent des lueurs d’autodafés dans la pourpre des moires. Des mousselines de Delhi, je suis la douce amante et enfin je m’abandonne, sous un doigt léger comme ces gazes qu’en Orient on nomme « air tissé », à une jouissance savante et meurtrie ».
ELLE : Oh! Mais je reconnais vos sources: il s'agit de ce texte obsolète, à la fois discriminatoire et sexiste, écrit au début du siècle (le XIX ème!) par cet espèce de criminologue, le docteur Gaëtan Gatian de Clérambault. Son bouquin s’appelait « La passion érotique des étoffes chez la femme! »
L’auteur : Je me suis un peu inspiré de ses sottises car la bêtise est, pour moi, une grande source d’inspiration...

« Tétin Gauche, tétin mignon »


ELLE : Déjà, dans « Les Lieux du Mystère », vous aviez désarçonné le public. Le narrateur disait : « Savez-vous que les blasons composaient la carte du Tendre d’un paysage entre tous aimable : le corps féminin. C’est Clément Marot qui, exilé à Ferrare et tout entier occupé à la traduction des psaumes, en compose un à sa manière et des plus profane : « Le blason du beau tétin » !
L’auteur : « Tétin Gauche, tétin mignon
Toujours loin de son compagnon
Quand on te voit, il vient a maints
Une envie, dedans des mains,
de te taster et de te tenir. »
ELLE : François I et sa cour son conquis et chacun se met illico à blasonner…
L’auteur : Résolument ! La femme blasonnée n‘est ni l’essence et l’absente de Pétrarque ; ni la déesse fabuleuse et mythologique dont les Italiens avaient multiplié la représentation. Cette femme là est une créature charnelle dont le moindre détail est infiniment précieux. Elle est d’obédience Baudelairienne, condensé de toutes les grâces de la nature et dont le charme s’accroît encore par les parures et les nuées vastes et chatoyantes des étoffes. Le corps de la femme blasonnée renvoie dans les ténèbres le fétichisme des reliques saintes. Les poètes y voient la forme ultime et aboutie de la beauté universelle ; ils y retrouvent les flamboiements de la nature, les nacres des nuages matinaux, les lacs irisés, la floraison des vergers et le ruissellement des prés en fleurs ...
ELLE : Connaissez-vous des éditeurs qui soient intéressés par Clément Marot ?
L’auteur : Sur le moment, ça me vient pas !…

Danseuse exotique

L’auteur : Pour rendre mon histoire « GRAND PUBLIC », j'ai fait de Miss Plunkett une danseuse exotique. Bien que, par essence, elle soit une immense intellectuelle, elle se produit sur la scène du « Paris-Fripon » par nécessité et pour subventionner la rédaction d’une somme du tonnerre sur la pensée paulinienne !
ELLE : Parce que vous en avez rencontré beaucoup, dans les loges, des danseuses nues qui vous aient confié : « Le mot hébreu « HEBEL » est habituellement rendu par « VANITÉ ». Mais son sens originel est celui de « buée », de « brise » ou de « vapeur »…
L’auteur : J’en sais rien: j’ai oublié de leur demander!... Mais… Vous ne sous-entendez pas que l’art chorégraphique rendrait inapte à concevoir des pensées élevées ?
ELLE : Bien sûr que non, quelle horreur ! Simplement, je dis que le lecteur risquerait d’être décontenancé par ce paradoxe…
L’auteur : Ah ?

« Ah, j’ai baisé ta bouche, Iokanaan … »


- Je me souviens: j’avais acheté une belle édition du Salomé d’Oscar Wilde, illustrée par Alastair!
- J'ai toujours préféré celles de Aubrey Beardsley.
- Naturellement! Au point qu'il m'inspira beaucoup, Beardsley, au tout début de ma carrière. Oui, aussi incroyable que cela puisse paraître, la première partie de « Whisky’s Dreams » lui doit beaucoup! Plus tard, je me mis en tête d’en donner ma version, de cette Salomé. Quelle folie ! Gaël posa de longs mois pour ce projet.
Le Tétrarque : Ah, c’est magnifique, c’est magnifique ! Vous voyez qu’elle a dansé pour moi. Que veux-tu, dis ?
Salomé : Je veux qu’on m’apporte dans un plateau d’argent…
- Dans un plateau d’argent ? Mais comme elle est charmante ! Et qu’est-ce que voulez qu’on vous apporte dans un plateau d’argent ?
- Donne-moi la tête de Iokanaan.
- Non, non ! Vous ne voulez pas cela. Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée pendant toute la soirée. Mais je ne le ferais plus. Il ne faut regarder ni les choses ni les personnes. Il ne faut regarder que dans les miroirs. Car les miroirs ne vous montrent que des masques…
Le Tétrarque cède cependant (C'est un type qui ne sait pas dire non à une jolie fille, comme tous les types, en fait!). La Princesse de Judée saisit la tête décollée de Saint-Jean batiste et lui murmure:
« Ah, j’ai baisé ta bouche, Iokanaan. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang ? Mais peut-être est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une saveur âcre… »

« Tout montrer, c'est obscurcir tout »


- Vous exagérez ! Car en même temps, ne me suis-je pas dit, pour la réédition de « Paris-Fripon » : Laissons la préface à Miss Plunkett. Car une jolie fille, ça présente bien et ça amène toujours le lecteur à une certaine indulgence ». Et le récit commençait ainsi:
- Oui, c’est bien un portrait de moi que vous contemplez, en ce moment même. Mon auteur m’a baptisée Phyllis, Phyllis Plunkett. Ou, plus simplement, Miss Plunkett. Je suis, sans vouloir me mettre trop en avant, l’un de ses personnages fétiches et, peut-être même celui pour qui il a toutes les complaisances. Il m’a d’ailleurs consacré son premier film, « Les Lieux du Mystère ». Certains disent que cela sera aussi son dernier. Les gens sont méchants! A la vérité, mon auteur ne savait trop comment s’en sortir pour présenter cette réédition de ses œuvres, très largement augmentée de filles déshabillées ou faciles. Et quelquefois même les deux !
- Application d'un des Trente-Six Stratagèmes: « Tout montrer, c'est obscurcir tout ». A commencer par le jugement! C’est ainsi que je me retrouve, dés la première page, fort peu vêtue...
- Et en SALOMÉ! Je relisais souvent la pièce en un acte d'Oscar Wilde. Depuis bien longtemps, je cherchais un modèle qui puisse incarner l’objet de la convoitise du Tétrarque. Ah, je l’imaginais bien, Hérode, penché un peu en avant, les mains sur les genoux, haletant, affolé par cette nudité de femme imprégnée de senteurs fauves, roulée dans les baumes, fumée dans les encens et dans les myrrhes.
Il demeure écrasé, anéanti, pris de vertige, devant cette danseuse. Un peu comme dans ce passage de « A rebours » de Karl-Joris Huymans où Des Esseintes s’abîme longuement dans la scrutation de la fille de Hérodias:
« Ici, elle était vraiment fille; Elle obéissait à son tempérament de femme ardente et cruelle; Elle vivait, plus raffinée et plus sauvage, plus exécrable et plus exquise; Elle domptait plus sûrement les volontés de l’homme, avec son charme de grande fleur vénérienne, poussée dans des couches sacrilèges, élevée dans des serres impies. »
- Ce dessin était en outre un hommage à Norman Rockwell, une allusion à cette célèbre peinture pour The Post: « Abstract & Concrete »! Le votre de spectateur manifeste un goût pour une peinture... Heu... Disons plus représentative que celle de l’original!

L'auteur: Je me souviens du professionnalisme incomparable de Gaël. Jamais, en cinq années de collaboration, elle n’a manqué une séance de travail. « C’est que je viens du théâtre: aucune comédienne sérieuse ne raterait une répétition. J’ai simplement appliqué ce principe à la mise en scène de vos images fixes! » Me disait-elle, modestement. Hélas, il me faut être lucide. Malgré ses qualités de comédienne, je fus bien incapable de représenter, de manière juste et subtile, les larmes de son personnage. Dessiner celles-ci, dans un dessin au trait, c'est assez artificiel ou bien alors très convenu. Je me souviens encore de ce que vous m'aviez enseigné…
ELLE: Mea Culpa ! « Représente l'origine des larmes - de l'éternuement - du bâillement - du tremblement - de l'épilepsie - de la folie - du sommeil - de la faim - de la volupté - de la colère. Représente d'où vient l'ivresse, les points de côté, les rêves. D'où, dans les maladies, vient le délire. D'où viennent enfin les larmes - et le mouvement des yeux, celui de l'un entraînant celui de l'autre. Enfin le sanglot… » Comme écrivait Léonard. Sauf que vous n’êtes pas Léonard !
L'auteur: Heu... Non ! Alors je me suis dit qu’il fallait recourir à un petit subterfuge pour plutôt les simuler, ces larmes. Et qu'est-ce qui, graphiquement, symbolise le mieux le fait d'avoir pleuré ?
ELLE: Un maquillage qui a coulé.
L'auteur: Exactement !
ELLE: Ce dessin fut primitivement réalisé pour la couverture d'un Christopher Carter : « Un assassin Modèle ». Et refusée! Ce que je comprends car la mouche était de trop. Les connaissances que j’avais, en toute bonne foi, semées dans votre esprit, vous rendirent prétentieux et fat… Sans vouloir vous faire de peine !

« Une Nuit à l’Institut Médico-légal »


Le Fantôme des années anciennes réalise, peu à peu et avec horreur, que son rôle de Directrice de Conscience a sans doute précipité son artiste tout en bas de l’affiche. Pire, le nom de ce dernier fut bientôt porté sur une liste noire des illustrateurs à ne jamais faire appel. Sauf si l’on souhaitait voir ce genre de MOTTO « L’homme, né de la femme, qui a la vie courte mais des tourments à satiété, pareil à la fleur, éclôt puis se fane… » figurer sur la plus innocente des images.
Elle: Mais rappelez-moi la destination de cet autre barbouillage ?
L’auteur : Originellement tout en couleurs, (« Beaucoup trop de couleurs, Claeys ! », qu’on m’avait reproché) et appelé « Une Nuit à l’Institut Médico-légal », cette fresque fut réalisée pour la Police Scientifique. En avant-plan, outre la représentation d’une science hasardeuse (la phrénologie), l’image est parsemée de crânes comme autant de référence à ce thème que, jadis, on nommait « VANITÉ ». Lequel découle de la célèbre expression « VANITAS, VANITATUM ET OMNIA VANITAS ». Vanité, c’est ainsi que l’on traduit le mot hébreu « HEBEL » mais dont le sens originel est plutôt celui de « buée », de « brise » ou de « vapeur »…
- Ah ! Comme je m’en veux… Vous n’étiez pas prêt pour recevoir un tel enseignement. Votre nature ne vous prédisposait qu'à la représentation de simples images inspirées du « Roman Noir »!

« Mystère à Cavaillon »


- En même temps, c’est à cette époque que vous avez rencontré Gaël…
- Oui : je l’avais remarquée à Orange où, durant « Les Chorégies », elle jouait dans Nabucco. Je lui donnai rendez-vous dans un café, à Carpentras.
- Carpentras ? Quelle horreur !
- Il y a pourtant deux excellents pâtissiers : Jouvaud et Gazotti. Nous prîmes un café et ses manières me ravirent : « Oooh, comme vous avez de jolies mains et avec quelle élégance vous portez cette tasse à vos lèvres… Car je voulais éviter certaines erreurs. Comme celle qui consiste à laisser une modèle tenir sa cigarette comme l’eût fait Humphrey Bogart…
- Et alors ?
- Vous devriez le savoir mieux que quiconque : je suis le genre de garçon qui préfère plus de féminité dans la gestuelle ! Et le plus simple, c'était encore de choisir une inspiratrice qui possédait naturellement les manières rares et délicates à ma convenance... Ma première collaboration avec Gaël se déroula à Cavaillon.
- Oh ! La Colline Saint Jacques : elle est très ressemblante…
- N’est-ce pas ? C’est la Médiathèque qui avait organisé quelques journées, semaines même, consacrées au Roman Noir : « Mystère à Cavaillon », ça s’appelait…
- Une histoire d’empoisonneuse ?
- Oui. Encore qu'au départ, je voulais mettre en scène une grande bibliothèque.
- Pour une Médiathèque, c'était de circonstance.
- Quelque chose qui évoquait en fait une phrase que vous m’aviez fait lire et qui me hantait: « Quelque désir qu'aient les hommes de n'importe quel bien terrestre, il peut être complètement assouvi jusqu'à se transformer en dégoût. Excepté le désir d'acquérir un grand savoir, ce dont jamais personne ne se dégoûte... »
- Aie ! Mais vous n’avez pas présenté le projet ainsi ?
- Bien sûr que non ! Je leur ai raconté une histoire très simple, celle d’un empoisonnement commis par l’entremise de la spécialité locale…
- Le Melon de Cavaillon, bien sûr ! Cette représentation ne pouvait que plaire à ses commanditaires, charmés par cette délicate attention concernant leur beau patrimoine.
- Mais ce fruit gorgé de soleil ne pouvait être la cause directe du décès.
- A moins de vouloir ruiner l’économie du coin avec la cohorte de drames sociaux qui toujours l'accompagne.
- D’où l’idée du Porto, un coupable dont nul ne pourrait se plaindre !

« Speculum fallax »


- Il existe, du miroir, une autre interprétation. Dans le « Speculum fallax », nous pouvons lire ceci : « Les yeux sont les portes ouvertes par où entrent les vices qui contaminent l’âme. » Et un traité d’Éducation à l’usage des jeunes filles, ajoute : « Les femmes n’ont pas de joie plus grande que celle de se parer. C’est pourquoi elles ont un conseiller qui s’appelle le miroir et leur apprend à ajuster leurs voiles, à se maquiller le visage, à se regarder de face et de côté, à tourner habilement le cou ou à pencher gracieusement la tête, à rire et à badiner, à se mouvoir ou à se tenir immobile, selon leur humeur ou encore leur intérêt… »
Parée de bijoux, la femme se regarde, nue, devant la glace : sa féminité aguichante s’abîme dans la contemplation amoureuse de son propre corps. A cela s’ajoute le cortège des corsets, des complexes armatures glissées sous les jupes, des perruques, des mouches, des poudres, des fards et des onguents, bref toute une stratégie, inspirée par Lucifer lui-même, pour dénaturer et travestir l'oeuvre de Dieu ! Oui, la femme personnifie bien les désordres de l’âme et, en se regardant dans le miroir, elle joue, à la note près, la partition écrite par le Malin : elle déroule tous ces artifices afin que les hommes, créatures simples, honnêtes et désarmées, chutent dans les pièges de sa beauté trompeuse!... Je regrette tant de vous avoir ouvert l'esprit sur de tels sujets: cela a scellé votre perte!

samedi 30 juillet 2011

« Quand la lune est pleine, elle commence à décliner »


- Je crains - Regretta-t-elle - D'avoir révélé des secrets trop lourds pour votre pauvre cervelle ! Je songe à cet extrait:
Heurtebise: On a oublié des gants chez vous.
Orphée: Des gants?
Heurtebise: Mettez-les! Allez... Allez... Avec ces gants, vous traverserez les miroirs comme de l'eau!... Auriez-vous peur?
Orphée: Non, mais cette gla...ce est une glace et je n'y vois qu'un homme malheureux.
Heurtebise: Il ne s'agit pas de comprendre. Il s'agit de croire!
- Ah ! J’aime beaucoup.
- Mais vous ne comprenez pas tout ! Ainsi, derrière le miroir rode aussi la mort. Et l’irruption de celle-ci donne une dimension tragique au spectacle de la belle qui se mire. Représentée par un squelette ou un crâne, la mort est l’alliée du démon dans les entreprises pour lesquelles elle tisse ses maléfices. « Tu verras dans le miroir décliner ta beauté, ton temps précieux fuir et sur le cadran volage bientôt se dessiner le sépulcre béant. Le miroir ponctue les heures comme un sablier. Rappelez-vous ce tableau appelé « Les Trois Ages de la Vie » : il nous montre une jeune fille aux joues fraîches, presque nue devant un miroir, son corps révélé par une longue et étroite gaze, que retiennent, d’un coté, un bébé joufflu, et de l’autre, un squelette, les yeux brillant d’un éclat insoutenable et tenant, haut, un sablier presque vide... A coté de la jeune fille, se tient une vieille, toute desséchée, les seins flasques et dont le visage échevelé se substitue au reflet de la belle. Le squelette saisit alors la jolie fille par la taille et l’embrasse, ravissant brutalement son souffle vital. La Morale est qu’il faut se tenir prêt !
- Maintenant que j'ai retrouvé une partie de mes esprits, il est évident que les Éditeurs de BD n'étaient pas prêts, de leurs côtés, pour de telles histoires...

- Savez-vous ce qu’écrivit Agrippa d’Aubigné ?
- Je donne ma langue au chat.
- « Satan fut son conseil et l’enfer son espérance ». Sans doute cette phrase aura-t-elle été votre ligne de conduite car, à moins d’être totalement idiot, qui aurait trainé la patte pour réaliser la pochette de ce chanteur bodybuildé ou quitter, sur un coup de tête, les locaux d’un célèbre metteur en scène ?
- A l’époque, je l’ai senti comme ça.
- Surtout, vous avez toujours préféré vous consacrer à vos propres histoires. Comme celle-ci, sur laquelle vous revenez sans cesse depuis dix ans et négligeant le reste… Ce sera donc la page de garde intérieure ?... Non, mais quelle horreur!
- Quoi ? Il est très bien, ce dessin.
- Je parle des boucles d'oreilles dont vous m'aviez affublée. C’était votre période où rien n'était, en matière de joncaille, trop gros ou assez clinquant!
- Un erreur de jugement et de goût, je l'avoue.
- Et quel est mon rôle dans cette histoire?
- Celui de l'épouse de l'Auteur agité du bocal.
- Quelle imagination! Et mon personnage fait quoi, sur ce dessin ?
- Comme chacun dans ce recueil et comme l’écrivait ce bon vieux Oscar, du fond de sa geôle:
« Chacun tue ce qu’il aime.
Certains le tuent d’un œil amer,
Certains avec un mot flatteur,
Le lâche se sert d’un baiser,

E.M. Forster écrivit : « Si je devais choisir entre trahir mon pays ou trahir un ami, j’espère que j’aurais le courage de trahir mon pays » ! Ce ne fut pas le cas d’un certain nombre de délateurs qui y allèrent de leur petite chanson devant la Commission des activités anti-américaines. Certains forcés, d’autres absolument spontanément comme un célèbre metteur en scène qui se fendit même d'une déclaration dans les journaux…
Dans l’histoire. Frank Stevens, le frangin de La Fille à L'Imperméable, avait été « vendu » par un certain Irwin Toler, ex-scénariste aujourd’hui reconverti dans le camionnage. Elle le retrouve quelque part dans le Désert du Mojave, près d’une station TEXACO oubliée…
La page d'avant:
Le routier : « Où tu vas? »
La Fille à l'imperméable: « Salt Lake City... »
Image deux. On the road.
La Fille à l'imperméable: « Non! Pas maintenant! »
Image trois. Dans un motel. Le routier: « Maintenant ? »
La Fille à l'imperméable: « Maintenant ! »
Lui : T’inquiètes, poulette, j’vais t’faire passer toutes les vitesses sans débrayer ! »: c'était le texte de cette dernière planche.
BLAM! BLAM! BLAM!

Vingt cinq ans auparavant. En ces temps quasi-préhistoriques, Wikipedia et toutes les ressources que l’on déniche sur Internet n’existaient pas et il fallait acheter ce que l’on appelait des livres, trucs en papier sur lesquels étaient imprimés des caractères d’imprimerie ou des images. C’était d’ailleurs le bon temps pour des types comme moi et même si l’Age d’Or était déjà révolu. Mais je m’égare… Mon histoire se passait aux États-Unis, durant ce que l’on appela « La Chasse aux Sorcières. Il y avait alors un type, dipsomane notoire, Joe McCarthy qui fut cependant élu sénateur de 1947 à 1957. Il entreprit une sorte de croisade personnelle contre le communisme dont il voyait partout des sympathisants. Durant une période comprise entre 1950 et 1956, tous ceux qui étaient soupçonnés d'inclinations envers la couleur rouge devinrent l'objet d'enquêtes et de procédures. Dans son cerveau troublé, Joe s’imagina bientôt que Hollywood était une sorte de pépinière d'ultra-gauchistes et même de dangereux espions à la solde de l'URSS. Avec la complicité d'un certain « Tricky Dicky » Nixon, il réussit à faire établir une « BLACK LIST » d’artistes (scénaristes, producteurs ou acteurs) à qui les studios devaient refuser tout emploi.
Ce qui entraina quelques drames personnels... Ainsi le frangin de la Fille à l'Imperméable s'est fait, quelques années auparavant, péter la cervelle après avoir été donné en pâture à la Commission des activités anti-américaines...
- Et le routier est le coupable?
- Exact!

Où Béatrice devient un personnage de BD


- Je me souviens de ce passage, dans les entretiens entre Alfred Hitchcock et François Truffaut, et qui traite des clichés de FILM NOIR...
F. T. Je reviens à la scène de l’avion dans le désert. L’aspect séduisant de cette scène réside dans sa gratuité même. C’est une scène vidée de toute vraisemblance et de toute signification; le cinéma, pratiqué de cette façon, devient vraiment un art abstrait, comme la musique, Et cette gratuité que l’on vous reproche souvent constitue précisément l’intérêt et la force de la scène. C’est très bien indiqué par le dialogue quand le paysan, avant de monter dans l’autocar, dit à Cary Grant, en parlant de l’avion qui commence à évoluer au loin:
«Tiens Voilà un avion qui sulfate et pourtant il n’y a rien à sulfater...» Ce n’est qu’une quinzaine d’années plus tard que je me hasardai, à mon tour, dans le désert. C'était dans « Lüger et Paix » et le personnage, qui s’était singulièrement féminisé, attendait son destin à la croisée des chemins, quelque part dans le Désert du Mojave et près d’une station TEXACO oubliée…
- Mais le danger ne venait pas de l’extérieur…
- Non ! En fait, c’est plutôt le routier qui avait du souci à se faire. Mais un FLASH-BACK me semble ici nécessaire...

« Les nouvelles pour dames de Somerset Maugham... »


- Si je me souviens de Béatrice, cette modèle que j’allais chercher pour vous, à la Gare de l’Isle sur la Sorgue, je ne me rappelle plus pour quel roman vous aviez réalisé ce dessin avec elle, une composition qui évoque irrésistiblement les Sortilèges Malais. A moins que c’eût été pour illustrer cette chanson :
- « On somnolait chez nous, comme ça
Dans notre jungle, le calme plat
Il a déboulé dans l'soir
En disant: "Mes malles
Sont encore au port"
Moi j'étais largué, classé
Elle était bouche bée
Et lui, c'était Robert Taylor
Comme dans ces nouvelles pour dames
De Somerset Maugham... »
- Non, je n’ai jamais travaillé pour l’industrie du disque. Une fois, je fus contacté pour réaliser la pochette d’un chanteur à la fois bodybuildé et baroudeur. Mais ce fut TARDI qui la réalisa finalement et c’est naturellement beaucoup mieux ainsi…
- Combien de fois, par négligence ou je ne sais par quel vice caché de votre âme, vous avez gâché des occasions rêvées ? Je me souviens de ce metteur en scène qui vous avait demandé de réaliser l’affiche de son prochain film et vous proposait de suivre, avec l’équipe, les deux comédiennes principales sur un FERRY. Vous n’aviez pas donné suite…
- Il était arrivé, deux fois de suite, en retard à nos rendez-vous, lui qui était sur place, à Paris, et moi qui venait du SUD, tout exprès ! Mais revenons à « ces nouvelles pour dames de Somerset Maugham », comme chantait Alain Souchon...
- Oui, cela vaut mieux !
- En ce qui me concerne, j'entrepris la lecture des Nouvelles Complètes de Somerset Maugham au début de l’été 1981. Ce sont les éditions Julliard qui s’étaient lancées dans cette aventure en avançant le fait que « le temps semblait venu pour redécouvrir un art classique fait de transparence, de de retenue et de mesure… ». Le premier tome s’appelait « Les Trois Grosses Dames d’Antibes » et, naturellement, mon côté ZELIG fit que j’adoptais son style et que j’écrivis « L'Exterminateur », court métrage de cette histoire d’écrivain fada et qui paru dans le (A SUIVRE) HORS SÉRIE de l’automne de cette même année et qui célébrait, annonçait-on en couverture, les NOCES DE SANG de la BD et du POLAR… Cette nouvelle devint « La Meilleure Façon de Tuer son Prochain »…

APARTÉ.
- Sur le dessin précédent, réalisé pour une couverture dont vous ne vous souvenez ni du titre ni du nom de l’auteur mais que, par facilité, vous avez renommée « JR à New-York », le personnage masculin suçote, sans raison, le canon d’un revolver…
- Un pistolet automatique, s’il vous plait ! Car REVOLVER vient du latin « revolvere » ou « revolvare » qui signifie « tourner »…
- On s’en fiche et, dans « BABY BROWNING », vous avez décidé d’appeler tous les gros calibres « BIG DADDY » ou « MISTER BIG » : c’est plus rigolo et ça fait moins maniaque!
- N’empêche que le type devant le « Waldorf Astoria », il a mis toutes ses complaisances dans un Colt 45, ou encore 11,43 sous nos latitudes.
- Ça doit être freudien ce tic qu’ont ces personnages et qui consiste à se malaxer une partie du visage avec le bout de leur canon. Comme ici où l’auteur bouffi, improbable détective sur une piste qui l’a mené sur les docks, remonte dubitativement sa joue avec le canon de son fidèle « Python ». Qu'est donc un revolver! C’est un procédé dont vous avez tellement abusé qu'un AMI finit par t’écrire : « N'importe quel vieillard en train de manger un rat dans un souterrain serait en ce moment un meilleur sujet pour vous qu'une fille à lunettes de soleil avec un canon caressant sa tempe... Combien de fois faudra-t-il vous le dire ? Vous n'arrivez donc pas à le ressentir vous-même ?... »

« Et à ce sommet, on peut même lui donner un visage : celui du numéro CENT de la collection « Le Miroir Obscur » !
- Un visage, celui de Béatrice, qui vous valu quelques unes de vos meilleures couvertures. Et si je me souviens si bien, de cette modèle, c’est que j’allais chercher pour vous, à la Gare de l’Isle sur la Sorgue. Elle avait de très belles mains, fines et aristocratiques…
- Les mains sont la première chose que je regarde ! Dans « Baby Browning », le personnage masculin principal (un illustrateur, quelle imagination!) déclare: « Vous avez de jolies mains et de beaux ongles. C’est important : je ne pourrais pas dessiner quelqu’un qui ait de vilaines mains ! »
- Et, moi-même, je ne me serais jamais laissée peindre par quelqu’un ayant des battoirs à la place des mains ! Votre modèle avait aussi beau regard… Je me souviens de cette phrase que vous aviez trouvé chez un auteur « FIN DE SIÈCLE » : « Les yeux! Il en existe de si beaux! Il y en a de bleus comme des lacs, de verts comme les vagues, de laiteux comme l’absinthe, de gris comme l’agate et de clairs comme de l’eau. J’en ai même connu en Provence de si profondément chauds et calmes qu’on eût dit une nuit d’août sur la mer… Les yeux nous apprennent tous les mystères de l’amour, car l’amour n’est ni dans la chair, ni dans l’âme, l’amour est dans les yeux qui fraient, qui caressent, qui ressentent toutes les nuances des sensations et des extases, dans les yeux où les désirs se magnifient et s’idéalisent… » Je ne me souviens plus s’il s’agit de Joris-Karl Huysmans ou bien de Jean Lorrain…
- Peut-être un MIX des deux car je suis un familier de cette pratique, tout comme celle d’arranger parfois le texte. Il y a deux choses absolument nécessaires pour être modèle : avoir de belles mains et des yeux qui brillent !

« Le Vieillard fou de son Art »


- Savez-vous ce que, dans « Le Vieillard fou de son Art », écrivait Hokusai ?
- Qui ?
- Le Grand Peintre Nippon. Non ? Alors je vous l’enseigne : « Je suis amoureux de la Peinture depuis que j'ai pris conscience de son existence, à l'âge de six ans. J'ai fait quelques tableaux que je croyais très bons quand j'ai eu l'âge de cinquante ans. Mais rien de ce que j'ai réalisé avant l'âge de soixante-dix ans n'avait aucune valeur. A soixante-treize ans, j'ai fini par saisir tous les aspects de la nature: oiseaux, poissons, animaux, arbres, herbes, tout. Quand j'aurais quatre vingt ans, j'irais encore plus loin et je ne posséderai vraiment les secrets de l'Art qu'à l'âge de quatre vingt dix et des poussières. Quand je serais centenaire, mon Art sera vraiment SUBLIME. Quant à mon but ultime, il ne sera atteint qu'aux environs de cent vingt ans, lorsque chaque trait et chaque point que je tracerai seront imprégnés de la vie même! »
- Mince alors !
- Comme vous dites ! De votre côté, c’est vers 1985, à l’âge d’à peine trente-cinq ans, que vous aviez atteint le sommet de votre activité désordonnée de gribouilleur. Et, à ce sommet, on peut même lui donner un visage : celui du numéro CENT de la collection « Le Miroir Obscur » !

« The Harder They Fall »


- « Quand la lune est pleine, elle commence à décliner »
- AIE!

- Dites: beaucoup de vos escaliers se ressemblent, non ?
- C’était celui de la rue Portefoin où se trouvaient les locaux de « L’Écho des Savanes », celui des Éditions du Fromage.
- Drôle de nom pour une maison d’édition ! Cette planche appartient à « Luger et Paix » et fut réalisée en 1986, tandis que celle extraite de « Paris-fripon » datait quant à elle de 1981. A travers les barreaux de ces cages d’escalier, ce sont douze années d’évolution graphique que nous contemplons ! Tu as abandonné, de page en page, toute documentation extérieure pour n’utiliser que vos propres repérages et ne mettre en scène que vos personnages, habillés selon l’idée que vous vous faisiez d’eux. Enfin vous les éclairiez en imaginant, simple d'esprit, retrouver un peu l’ambiance des Films Noirs de la « Warner ». Bref, vous êtes une sorte de petit réalisateur, à votre manière ! Et ce pauvre type, celui que vous représentez si souvent, il en fait toujours beaucoup trop!
- Vous pensez? C'est un peu vrai: mais je n'ai que lui sous la main et je ne saurais le fâcher en lui disant crûment la vérité!
- Après vous être brouillé avec tout le monde, il ne manquerait plus que vous vous querelliez avec vous-même! Et puis, j'imagine que c'est un genre. Même si c'est un mauvais genre!
- Croyez-vous que cela intéresse quiconque ?
- Léautaud écrivit: « Ce qu'on écrit intéressera-t-il le lecteur? On n’en est jamais sûr. En tous cas, on fait quelquefois, en écrivant, des découvertes sur soi-même. Cela compense! »

« COPIE CONFORME »


- Et encore un escalier ! Vous êtes décidément une sorte d’obsédé.
- C’est que, comme Diderot, « l’inspiration me vient en descendant l’escalier de la tribune »!
- Est-ce la raison pour laquelle vous représentez tant d’escaliers ?
- En tous cas, nous sommes passés dans « Paris-Fripon ». Cette planche représente, elle aussi, une élévation ! Mais celle-ci n’est pas due aux forces hydrauliques de la Société OTIS, mais à la force du mollet d’un tueur en série surnommé « La Grenouille ». L'origine de ce sobriquet venant de son goût pour les batraciens en pâte d’amande et avec lesquels il signait ses forfaits. Je sais, c’est idiot. Mais sur le moment, cela m'amusait! C’était en fait une histoire de sosies. mais je ne sais si « COPIE CONFORME » en est responsable! Les dialogues de ce film sont dus à Henri Jeanson: « S'aimer comme des pauvres, ça doit être chic quand on sait qu'on a de l'argent! ». C'est Coraline, la maîtresse du gangster Ismara qui balance cette réplique au sosie trop sentimental de ce dernier, Gabriel Dupon! Elle trouve la métamorphose présumée de son amant, charmante. Mais pas à n'importe quel prix!...

- Du coup: « Je crois que, finalement, les bandes et les illustrations de Claeys sont avant tout porteuses des fascinations qui hantent l’auteur lui-même. Le monde intérieur prolifère et le récit n’est qu’un prétexte. Déjà dans « Magnum Song » s’observe cette distorsion. L’intrigue bien huilée s’écarte pour laisser place à Raven, au départ personnage secondaire de l’histoire. C’est un perdant, comme tous ces êtres qui hantent les planches des albums de Claeys. Ils portent sur le monde et sur eux-mêmes un regard désenchanté, lucide. Leur misère psychologique, regret d’une identité perdue dès l’enfance, les a placés au-delà de l’humain. Incapables de ressentir une émotion et par conséquent sans compassion, ils tuent froidement, car eux-mêmes sont déjà morts... » Écrivit-on au sujet de « Magnum Song ».
- Chut ! Écoutez...
- Mais! Je n’entends rien...
- Exactement ! Une planche et pas un mot. Le silence.
- Comme c’est reposant !
- N’est-ce pas ?

« THE PARTY »


- Les gens de Tournai savaient recevoir et c’est au Château de Jarnac que la « PARTY » eût lieu. Les Éditions du Cygne me présentèrent à l’équipe rédactionnelle de « A SUIVRE ». Je ne me souviens plus des détails mais dès le printemps, dans le numéro double 6/7 de cette revue, sortit ce qui allait devenir « Magnum Song »…
- Presque un... an plus tard, le numéro 17 fut à la fois votre apogée et la signature de votre damnation.
- Exactement! Et je le dis bien haut: « ME, ME ADSUM QUI FECI »: « C'est moi, et moi seul, qui l'ai fait ». Car il y avait un dossier sur « Les Obsédés de la Gâchette » et où j’étais présenté l’un des membre les plus virulents, un type auprès de qui Charlton Heston pouvait être tenu pour une sorte de pacifiste béat! D'ailleurs, c’est absolument incorrect...
- Le fait que vous soyez un détraqué, amateur de flingues ?
- Non. Le terme gâchette : il faut dire détente. La gâchette est à l’intérieur de l’arme et l’on ne saurait la presser ! Mais l’article sur moi est à prendre avec des pincettes: la preuve, c’est moi qui l’avais écrit, une pure invention agrémentée d’un photomontage assez grossier mais que tout le monde prit pour argent comptant!
- Après ça, considéré comme un paria par toute la profession qui avait encore en tête ton admiration affichée pour Harry Callahan, il vous fallut prendre les chemins de l’exil. C’est ainsi que vous vous êtes retrouvé dans un ermitage, au sein même des Monts du Vaucluse...
- Sur cette planche, nous découvrons le personnage de Raven. Celui-ci est important car, abandonnant en cours de route l’idée de prêter, à tous les personnages, la physionomie de stars anciennes ou d’acteurs de compléments, je fis poser, pour ce rôle, un confrère. Nous avions en commun une sorte de vénération pour l’école américaine : Alex Raymond, Hal Foster ou Al Williamson. A la lueur de l’enseignement de ce dernier et de son Agent Secret X9, je pris l’habitude de travailler au Polaroid. Frédéric G* fut la première victime de cette méthode dont j’allais explorer peu à peu, et de manière de plus en plus maniaque, toutes les possibilités...

« The Seven Year Itch »


- La réalisation de cet album avait commencée moins de deux ans auparavant; en 1978…
- 1978 ? Ah ! L’année du DISCO :
« Où sont les femmes ?
Et dès que vient le soir...
Elles courent dans le néant
Vers des plaisirs provisoires… »
- Depuis, vous avez perdu à la fois votre jeunesse et déçu toutes les grandes espérances que chacun mettait en vous: essayez de garder, au moins, une certaine dignité intellectuelle et artistique ! A cette lointaine époque, on écrivait de vous:
« Claeys change ici d’esthétique mais aussi d’univers créatif.
Ainsi la figuration s’oriente vers une plus grande probité réaliste, vers une esthétique de la restitution photographique. Enfin, il se refuse à toute inflation verbale qui pourrait prendre le relais des images : bruitages, onomatopées, longs récitatifs. Ne lui reste plus que la solution d’inventer son propre système narratif en bande dessinée… Il s’y emploie dans « Magnum Song »: longues séquences silencieuses, rythmées de plans d’ensemble comme de plans serrés sur les petits gestes quotidiens, révélateurs de la personne, son étincelle de folie. Le décor va lui aussi prendre une importance fondamentale. Immeubles décrépis, poubelles, machines abandonnées, usines désaffectées généreront une atmosphère. La finesse du dessin permet tous ces effets.
Claeys va jouer aussi sur la composition interne et la topographie de la page, son sens de la mise en scène et du paysage sont, à cet égard, remarquables et les exemples foisonnent…»
- 1978 fut ce que l’on peut appeler: « A Very Good Year ». Car au mois de janvier, « Whisky’s Dreams » fut mon billet d'invitation à Angoulême. Cette année-là, les éditions Casterman célébraient la naissance de leur nouveau magazine : « A SUIVRE »
(...)

mardi 5 juillet 2011


- Je viens juste de réaliser une bonne reproduction de ce qui sera la dernière planche de « Magnum Song ». Le texte sera simplement :
« Je me sentis soudain très vieux et très fatigué...
...Le temps se brouillait de plus en plus. Aussi me réfugiai-je dans un estaminet qui baignait dans d’appétissantes odeurs de viandes rôties et d’oignons frits. On me servit un ragoût qui n’eut pas déshonoré la table d’un Lord… Plus tard, je quittai ce chaleureux établissement...
...et c'est charmé jusqu’à la somnolence que les flics me cueillirent, au bord de la River. Direction la Fondation Harrington d'où je vous raconte aujourd'hui mon histoire…»
- Et si vous écriviez simplement: « Je me sentis soudain très vieux et très fatigué... C'est dans cet état que les flics me cueillirent, au bord de la River. Direction la Fondation Harrington d'où je vous raconte aujourd'hui mon histoire…»
- Vous croyez?
- J’en suis certaine... Cette reproduction avantage votre dessin et renforce l'ambiance industrielle.
- Oui : cette lumière au centre de la composition contraste avec le fondu au noir de la machine de halage. Je suis même étonné par la lumière qui baigne la tête de l'indispensable mouette du clap final. Je suis étonné et découvre un nouveau dessin, comme s'il n'était pas de moi. Rien n'est voulu mais je vais garder cette version qui n'était qu'un essai d'objectif de reproduction. Vous ne devinerez jamais d'où vient ce tas de ferraille et de rouages rouillés au premier plan: Choisy-le-Roi! Cette River mythique est en fait La Seine!

lundi 4 juillet 2011

Just leave the Beretta!



Tandis que la Blonde Égérie parfait au soleil sa tenue de travail, l'auteur rejoint la pénombre de son studio où l'attend le Fantôme des Années Anciennes.
- Mais dites: ne serait-ce pas un Beretta que tient le personnage ? Le même que James Bond ?
- Non! Un modèle plus conséquent que celui qui donna lieu à ce savoureux dialogue:
M: Take off your jacket, Double-O Seven and give me your gun.... Yes, I thought so. This damn Beretta again. I’ve told you about this before. Armourer! You tell him - for the last time!
MAJOR BOOTHROYD: Nice and light - in a lady’s handbag. No stopping power.
M: Any comments?
JAMES BOND: I disagree sir. I’ve used a Beretta for ten years - I’ve never missed with it yet!
M: Maybe not, but it jammed on your last job and you spent six months in hospital in consequence. If you carry a Double-O number it means you’re licenced to kill not get killed. And another thing. Since I’ve been head of MI7 there’s been a 40 percent drop in Double-O operative casualties, and I want it to stay that way. You’ll carry the Walther - unless of course you’d prefer to go back to standard intelligence duties.
JAMES BOND: No sir. I would not.
M: Then from now on you carry a different gun, show him armourer.
MAJOR BOOTHROYD: Walther PPK 7.65 mil with a delivery like a brick through a plate-glass window. Takes a Brausch silencer with very little reduction in muzzle velocity - the American CIA swear by them.
M: Thank you Major Boothroyd.
MAJOR BOOTHROYD: Thank you sir. Goodnight sir.
M: Any questions Double-O Seven?
JAMES BOND: No sir.
M: Alright then. Best of luck.
JAMES BOND: Thank you sir.
M: Double-O Seven!
JAMES BOND: Sir?
M: Just leave the Beretta.

dimanche 3 juillet 2011

Le Lundi au Soleil.


- Non! Non ! Et Non ! Je ne poserai plus aujourd'hui... Considères que je fais la grève : le puissant Syndicat des modèles est derrière moi et appuie ma juste lutte pour obtenir de meilleures conditions de travail ! Hum… Ta chatte noire me regarde d'une drôle de manière: elle ne m’aime pas, j’en jurerais !
- Quelle idée ! Elle a seulement du mal à exprimer ses sentiments : c’est une nature réservée…
- Tiens, en parlant de réservation : t’as pensé à mon dîner car cet après-midi m’aura rompue et affamée, tout à la fois !
- Oui : à la Tonnelle, tout près... C’est charmant, tu verras: il y a une treille et la cuisine y est très inventive !
- Y’a intérêt ! Le Syndicat ne rigole pas là-dessus ! Maintenant,laisse-moi profiter du lundi pour parfaire mon bronzage. Existe-t-il quelque chose de plus hideux que des traces de maillot ?
- Sans doute mais, sur le moment, ça ne me vient pas à l’esprit.
L’auteur, comprenant que toute discussion est inutile, comme toutes les discussions où finalement chacun jette son point de vue au visage de l’autre et ferme les esgourdes à la réponse, retourne dans ses appartements suivi par la chatte au caractère réservé, surtout à l’égard des blondes !

samedi 2 juillet 2011


- Voici, en avant-première, un projet d'aurore boréale réalisée par moi-même et par le miracle de l'infographie. J'ai vu ça dans les Bonus de la trilogie du « Seigneur des Anneaux »... On appelle ça du « COMPOSING », je crois.
- Les vieilles choses dans ton genre sont capables d'incroyables sursauts face aux changements qui affectent ce monde!
- Exact! D'ailleurs, dans le cadre propice à la méditation que constitue la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, se déroulera, les 1 et 2 octobre prochains, une exposition…
- Dont tu seras le « Commissaire » ?
- Exactement - Se rengorgea le fat car il avait toujours vu dans ce titre, « Commissaire d’Exposition », une sorte de consécration. Et puis c’était la première fois qu’il passait de ce côté-ci de la loi ! - Le thème sera, plus ou moins, celui des Cités Imaginaires ou Réinventées. En voici le petit argument : « (...) Je me souviens de Johnny Metal, personnage crée en 1941 par Léo Malet. A une américaine qui s’étonnait auprès de l’épouse de ce dernier de la grande science qu’avait l’auteur des mœurs criminelles et du milieu de l’UNDERWORLD :
- Votre mari a du vivre longtemps aux États-Unis ?
- Pas du tout : le plus grand voyage qu’il ait fait, c’est Paris-Montpellier !
Au sujet de ces cités plus inventées que réelles et dans lesquelles se promènent les personnages, François Guérif note encore: « C’est une ville imprécise, semblable à n’importe quelle métropole américaine ». Jacques Baudou renchérit : « La ville est la véritable STAR mais, paradoxalement, elle est très faiblement caractérisée… » Ainsi: « L'inscription de quelques noms propres suffit à ancrer le scénario dans la réalité américaine. Ce procédé crée artificiellement des lieux intérieurs ou extérieurs complètement stéréotypés tels une rue déserte dans un quartier sinistre, un terrain vague, un hôtel sordide ou une usine désaffectée. La ville est comme vidée de son contenu pour mieux déployer son rêve. Elle permet d'enchâsser des décors oniriques et hallucinés qui prennent l'allure de visions »... » Ainsi ne cherchez pas ce point de vue sur la Cité Cardinalice car il est absolument imaginaire.
- Et tu vas te retrouver tout seul, perdu dans les Salles de la Boulangerie ?
- Bien sûr : quelle angoisse! J'ai demandé à trois autres artistes de m'y rejoindre et je peux ici révéler le nom des artistes qui me rejoindront.
- Et puis: NON!
- Hein ?

« COUP DE FROID SUR LA VILLE »


Durant une pause (édictée selon la convention passée avec le puissant Syndicat des Modèles, Karyline et l’auteur s'entretiennent d’un phénomène météorologique nommé « Aurore boréale ». Mais, comme cette histoire s’étend sur plusieurs mois, il faut peut-être faire ici un rappel. Ce dessin a été commandé pour le Festival de Villeneuve lez Avignon 2011 et dont le thème sera cette année le POLAR scandinave, le genre « Millenium ». Pour l’auteur, qui n’en a que jamais vaguement entendu parler, ce doit être des histoires de Lapons, un peuple certes honorable mais dont il est totalement ignorant des mœurs et coutumes. Peu importe, qu’il s’est dit, le Grand Nord est réputé pour ses Aurores Boréales. Il sait cela car il l’a lu chez son auteur préféré, ce vieux cinglé de Pline L’Ancien : « On a vu pendant la nuit, sous le consulat de C. Caecilius et de C. Papirius (en l’an de Rome 641), et d'autres fois encore, une lumière se répandre dans le ciel, de sorte qu'une espèce de jour remplaçait les ténèbres. » (Ce junkie invétéré de Pline devait être encore sous l'emprise des substances hallucinogènes à la mode sous l'Empire!)
Le truc, c’est qu’il ne sait pas trop, Claeys, comment bien représenter cette espèce de jour qui remplace les ténèbres ! Du coup, il se dit qu’il serait judicieux de la réaliser en post-production et il remplace son ciel à l'encre de chine par un fond vert: il a vu ça dans les BONUS de DVD !
- Ah ! Tu t’extasies devant le nombre de pierres et de tuiles que j’ai dessinées - Qu’il demande à sa Muse qui penche son nez charmant et attentif sur le dessin - Si j’étais payé à l’unité, je serais riche comme un américain !
- Mais si t'étais payé à la tuile que tu représentes, le serais-je de mon côté pour le nombre de centimètres carrées de peau que tu dévoiles à chaque fois ? Et pourrais-tu, à ce sujet, dire au lecteur le titre de cette manifestation ?
- Heu… « COUP DE FROID SUR LA VILLE »!
- Plaisant paradoxe car, en ce qui la concerne, elle n'a pas froid aux yeux!