dimanche 20 février 2011

Parce que vous appelez cela un métier ?


- Ah ! Vous n’aviez pas bien vu ? Sans doute n’avez plus les yeux de vos vingt ans: c’est la dure loi de la nature ! Constatez sur quel format vous travaillez alors...
- 27 x 41 cm ? Mais j’étais alors un véritable « miniaturiste » !
- Du coup, vous produisiez énormément et réalisiez une couverture en deux, trois jours. Et maintenant, quelle est votre cadence : une tous les deux ou trois mois !
- C'est surtout que nous formions une équipe de choc, capable de répondre à la demande dans l'heure qui suivait...
- Quelle consolation: moi pauvre victime vouée à l’ombre et vous triomphant dans la lumière !
- Oh! Regardez dans le coin en haut et à gauche : les fonds étaient faits avec des trames NORMATEX, ces feuilles que l'on frottait avec une petite spatule en métal. L'ordinateur a ruiné ce commerce comme celui des lettres LETRASET!
- Ne détournez pas la conversation! Tant de complaisances, c’est indigne ! N'avez-vous jamais regretté que la fonction féminine se résume, dans la plupart de vos petites mascarades, à un effeuillage suivi d’une mort violente, administrée par divers instruments domestiques, souvent de cuisine ou de jardinage?
- M’enfin ! C’est comme au théâtre : personne ne meurt pour de vrai. Ce sont des serments de mascarade et des larmes imaginaires. Ainsi mes personnages regardent souvent le spectateur comme pour lui souffler, en aparté : « Ne vous inquiétez pas : tout ça, c’est une comédie : je reviendrai à la fin de la pièce pour saluer le public ! »
- N’empêche que ce traitement réaliste, et qui est votre style, trouble. Ma famille et mes amis disaient à votre sujet: « Dessiner des assassinats, c’est pas un métier ! »
- Oh ! Cela me rappelle une scène dans « Entrée des Artistes »… Louis Jouvet joue le rôle du professeur Lambertin. Il se rend chez un ancien adjudant reconverti dans la blanchisserie, Grenaison, et qui est le père d’une de des élèves, Isabelle. Lambertin s’adresse tout d’abord à la tante de cette dernière :
« Les parents sont bien coupables qui ne respectent plus les cheveux blonds ou bruns de la jeunesse. Cette enfant est un sujet de premier ordre et vous n’avez pas le droit de lui gâcher la vie sous le prétexte assez vain que vous lui tenez lieu de mère en qualité de tante ! C’est une Amoureuse… »
« Comment ? » – S’alarme Grenaison.
« Je parle de son emploi » – le rassure Lambertin.
« Amoureuse, ce n’est pas un métier ! »
« Ah ! Parce que laver en famille le linge sale des autres, vous appelez cela un métier ? Vous n’’êtes pas dégoûtés !... »

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